Fail Fair au Mali!
La foire de l’échec fut un succès
Ecrit par Kadida Tangara, Responsable de Communications, Accountability Lab, Facilitateur de Lien et Apprentissage, Mali
Que d’émotions, entre la joie de vivre, la frustration, la tristesse, le bonheur et même des pas de danse. Autant d’éléments constituant cette belle journée du Fail Fair. Premier du genre au Mali dans le cadre de Voice, la salle de la maison de la Femme et de la Famille était très animée ce samedi 27 avril 2019.
Six panélistes dont trois femmes et trois hommes. Tous ont un point commun, vivre avec le handicap. Il s’agit de premierement Niama Koné, Amadou Dembélé, Kadiatou Coulibaly dite Katoucha, Sidiki dit Latiki Kouma, Filifing Sidibé et Dr Abdoulaye Diallo. A travers des témoignages remplis d’émotions, de courage et de persévérance, le publique a compris que l’échec est une partie intégrante du succès.
« On vous présente les six portraits émouvants!«
Vivant avec l’albinisme, Niama Kone est issue d’une famille nombreuse comptant deux personnes vivants avec l’albinisme. Niama a toujours nourri un rêve d’aller travailler pour la poste. Elle a intégré l’École Nationale des Postes où elle a obtenu un diplôme de contrôleur du service général en 1989 et la même année, elle a décroché le concours d’entrée à la Fonction Publique. Actuellement, elle est Chef Poste en Qualité au sein de la Direction Générale de la Poste et présidente du conseil d’Administration d’Accountability Lab Mali.
Une femme intègre et surtout dévouée à servir son pays, Niama affirme que son papa lui disait toujours de ne pas s’isoler, à cause de son handicap. Elle a donc grandi avec cette idée dans la tête, et l’albinisme n’est pas un frein pour elle. Plusieurs fois victime d’actes de sabotage de la part de ses collègues, Mme Koné arrive toujours à se relever. L’échec n’est pas de tomber, mais de refuser de se lever. Elle a réussi deux fois le concours des inspecteurs, elle est même arrivée en tête, mais malheureusement à cause des falsifications des résultats son nom n’apparait jamais sur la liste. Malgré le fait qu’elle a été victime de malversations, très déterminée, en 2008, elle a passé le concours au Sénégal et cette fois ci ça a marché.
Très intègre et syndicaliste (parce qu’elle aime défendre les droits des travailleurs), Niama pense que, seul le travail bien fait valorise l’homme. Pour elle la patience finit toujours par payer. Une femme très calme. On lui a souvent dit qu’elle ne sera jamais inspecteur (soit une promotion professionnelle). Malgré les découragements et les tentatives de sabotages, cela ne l’a pas arrêté. Aujourd’hui elle est cheffe de service à la poste.
Avant de voir sa taille, c’est son sourire qu’on aperçoit en premier lieu. Amadou Dembele est une personne de petite taille. Âgé de 27 ans, il mesure 84 centimètres pour 35 kilos. Né à Zantiguila, dans le Cercle de Sikasso, Amadou n’a pas eu une enfance facile. Sa vie va basculer à la mort de ses parents quant il était encore un enfant. Pendant des années il a vécu de la mendicité. Son marabout l’a encouragé à mendier car il ne pouvait pas travailler, pourtant sa situation ne lui permettait pas de marcher de longue distance. Par la suite, il est resté dans la maison du marabout pour étudier le coran.
Discriminé par sa taille, les personnes ne lui donnaient pas grand chose. Pour eux il n’était pas une personne normale. Certains même le traitait de monstre. Grace à l’assistance de l’ONG GADEC, partenaire de Voice à Ségou, Amadou est maintenant un grand musicien. Il joue et danse sur les rythmes du balafon, un instrument de percussion originaire du Mali.
Communément appelée Katoucha, Kadiatou Coulibaly est une femme battante vivant avec le handicap. Née en 1977 à Bamako, Katoucha est une mère célibataire. Actuellement elle est entrepreneuse, poète et secrétaire générale adjointe du bureau exécutif de l’Union Malienne des Associations et Comités des Femmes Handicapées (UMAPH), aussi un partenaire de Voice. Issue d’une famille pauvre, à l’âge de 3 ans, elle fut atteinte de la poliomyélite, infection virale très contagieuse touchant principalement les enfants pouvant entrainer une paralysie irréversible. Ses parents ont tout fait pour l’inscrire à l’école. C’est seulement à l’âge de de 8 ans qu’elle y fait ses premiers pas, son père avait peur qu’elle ne soit une victime ou un bouc émissaire.
L’année de son bac en 1999, elle est tombée enceinte et elle accoucha juste avant les examens. Se présentant à ses examens avec les fraiches cicatrices de sa césarienne. Après son examen, elle décida d’abandonner l’école. Plusieurs facteurs de découragement l’ont fait prendre cette dure décision tels que le fait qu’elle soit mère d’un jeune enfant, la distance de l’école et l’abandon du père de l’enfant. Dégoutée de la vie, Katoucha a eu un jour fortement penser au suicide pour en finir avec toutes ces souffrances. Mais son amour pour ses parents et pour son fils l’a aidé à tenir. Avec l’aide et le conseil d’une brave dame, Kadiatou retourna à l’école pour étudier la gestion des ressources humaines en cours du soir à l’IUG, et cela après 19 années d’absence sur les bancs de l’école.
Selon elle, la première étape du succès est la confiance en soi.
Actuellement Katoucha a monté sa propre entreprise et elle a plusieurs projets en vu notamment la réalisation de poèmes pour encourager les personnes marginalisées à aller de l’avant. Survivante, battante, brave, courageuse et travailleuse…. Pour Katoucha l’échec est une partie intégrante du succès.
Très intelligent, depuis à bas âge, le père de Sidiki Latiki Kouma décède en avril 2018, lui a inculqué des valeurs qui resteront gravé en lui. Né en 1989 à Bamako. Sidiki est originaire de Sizani dans la région de Ségou. A l’âge de 4 ans, il a été envoyer au village pour apprendre le coran. Un retour aux sources, qui lui a permis d’en apprendre plus sur sa culture et d’avoir de fortes racines pour mieux décoller.
Sidiki se sent à l’aise avec son handicap, il l’accepte pleinement nous dit-il en souriant. Sachez qu’un homme c’est sa tête ! Voilà ce que son père lui avait dit et qu’il n’oubliera jamais. La vie de Sidiki a basculé après la séparation de ses parents. Pour lui ce fut son premier échec puis l’échec au bac série Sciences Exactes.
« Bien vrai que mes camarades et enseignants me regardaient bizarrement comme si j’était un animal, j’ai toujours été le premier de la classe. Et mon père ne m’a jamais demandé de réviser mes leçons ».
Un homme extrêmement intelligent, qui a connu beaucoup d’échec d’ordre académique. Malgré tout cela, il a persisté et il n’a pas abandonnée. Aujourd’hui il est étudiant en 4ème année finance comptabilité au Centre d’Industrie et de Gestion(C.I.GES), Latiki fait partie de plusieurs mouvements associatifs, entre autres le Mouvement Jeunesse Avenir (M.J.A-Mali) ; l’AJCAD-Mali (Association des Jeunes pour la Citoyenneté Active et la Démocratie) ; l’ANJLM (Association Nationale des Jeunes Lecteurs du Mali) pour la promotion des écrivains, etc. Amoureux de la poésie, son rêve était d’appartenir au monde des écrivains. Il vit son rêve !
En septembre 2015, il fut 3ème au concours national « Transcrire la mémoire de notre société’ », organisé par le Centre PEN-Mali et le Mouvement Mali-valeurs à l’issue duquel son tout premier ouvrage intitulé « La culture de chez nous » fut primé avec le Prix Bakari KAMIAN édité par la maison d’édition « La Sahélienne ».
Filyfing Sidibé a eu son handicap à l’enfance quand elle séjournait en Côte d’Ivoire chez sa tante. Très marginalisée par cette dernière et sa famille, elle n’a pas eu la chance d’être soigner à temps. Toujours cachée dans sa chambre, Filyfing avait peur du regard des hommes. Enceintée très jeune par son voisin du quartier, le père de l’enfant décéda au troisième mois de sa grossesse. Après son décès, la famille a refusé de reconnaitre sa grossesse affirmant que leur fils n’avait aucun intérêt à être avec une personne handicapée.
Après son retour au Mali, Filyfing a connu un grand soutien en sa grande sœur qui lui disait toujours qu’elle pouvait TOUT faire. Ces mots d’encouragement lui ont permis d’ouvrir son propre établissement de restauration à Kati. Aujourd’hui Filyfing mène plusieurs activités génératrices de revenus pour subvenir à ses besoins.
« Nous sommes tous pareils, certes dieu m’a retiré quelque chose mais il ne m’a pas tout retiré, je vois, j’entends et je suis en mesure d’utiliser mes bras ». Le handicap n’est pas un frein pour Filyfing et surtout pas le synonyme de la mendicité. Pour elle, seul le travail paie ! Son expérience est un réel espoir pour toutes les personnes à la recherche d’emploi, vivant avec un handicap ou non, car le monde est rempli de possibilités.
Un homme âgé mais doté d’une mémoire exceptionnelle, Dr Abdoulaye Diallo racontes ses vécues avec un sens du détail très aiguisé !Souvent qualifié de surdoué, Dr Diallo voit sa vision s’affaiblir à l’adolescence. Ne pouvant plus étudier il a préféré cacher sa maladie à ses parents de peur qu’ils soient abattus en apprenant la nouvelle. Avec 1500 FCFA en poche, il décida de partir à l’aventure au Sénégal. Après avoir accumulé plusieurs petits boulots au Sénégal et en Gambie, il revient au Mali en 1977 pour effectuer son baccalauréat, après avoir entendu qu’une organisation aident les personnes aveugles. Premier bachelier non voyant, Dr Abdoulaye Diallo n’a pas pu intégrer l’université pour poursuivre ses études. Bloqué pendant 3 ans pour des raisons nébuleuses, il a été forcé de se convertir en professeur de 2nd cycle.
Pour Dr Diallo ses échecs ne l’ont jamais découragé, car sa force intérieure lui disait toujours qu’il était capable d’atteindre ses objectifs.Par ces bravoures, il a obtenu une bourse d’étude de la médecine en Tunisie. A son retour il a construit un hôpital de soin médicaux au sein de l’UMAV (Union Malienne des Aveugles), un partenaire de Voice. Actuellement son cabinet de kinésithérapeute connaît un fort succès et ses ordonnances en braille sont acceptés par de nombreuses pharmacies.
Selon Dr Abdoulaye Diallo, il faut toujours avoir foi en ses objectifs ! D’ailleurs ses enfants se sont inspirés de sa persévérance et de son courage, trois d’entre eux sont médecins.
En conclusion, de nombreuses personnes peuvent penser qu’être en fauteuil roulant, être une personne vivant avec l’albinisme, être mal voyant ou mal entendant est synonyme de tristesse. Mais à travers les témoignages de nos six panélistes de la première édition du Fail Fair (foire de l’échec) de VOice, le public malien a compris que nous vivons tous des défis dans nos vies respectives. Le handicap n’est pas une fatalité, il s’agit seulement d’une différence visible mais qui n’empêche pas à tout un chacun de réaliser ses rêves.