Financer comme vous le voulez : Les ressources des mouvements africains au service de la réussite et de la durabilité
Par Mengo, Chargée de Lien, Apprentissage et Amplification, Voice au Kenya
L’Afrique et ses « valeurs familiales« …
Depuis un an presque, les mouvements LGBTIQ en Afrique ne tiennent plus qu’à un fil… un fil de rayonne mouillé. Du projet de loi ghanéen sur la promotion des droits sexuels humains et des valeurs familiales ghanéennes au projet de loi anti-homosexualité ougandais, (maintenant sanctionné en loi) en passant par la proposition de loi kenyane sur la protection de la famille, les législateurs des pays africains continuent de mettre en péril la vie des Africains homosexuels en habillant la queerphobie perpétrée par l’État d’un vêtement portant l’étiquette « traditions africaines et valeurs familiales ».On pourrait croire que ces projets de loi et d’autres textes législatifs du continent qui attaquent les droits humains des personnes homosexuelles sous prétexte de promouvoir les valeurs familiales ont été adoptés récemment, mais c’est loin d’être le cas. En 2020, le Global Philanthropy Project (GPP) et ses organisations membres et partenaires ont publié un rapport intitulé « Meet The Moment : A Call for Progressive Philanthropic Response to the Anti-Gender- Movement » (Rencontrer le moment : un appel à une réponse philanthropique progressive au mouvement anti-genre).
Les prémisses du mouvement anti-genre
En définissant le mouvement anti-genre, un terme inventé par le Vatican dans les années 1990, le rapport souligne qu’au cours des dernières décennies, il y a eu « une confluence et un recadrage de multiples mouvements anti-droits de longue date sous la bannière d’un mouvement mondial « anti-genre » qui tente de codifier et d’imposer le concept selon lequel le sexe biologique représente l’ordre « naturel » tandis que le genre est une invention et une « idéologie » ». Ce cadre est « utilisé par des groupes politiques et religieux conservateurs et radicaux dans le cadre de stratégies visant à attaquer les droits de l’homme et l’autodétermination, à nier la science du climat et à promouvoir l’autoritarisme ». D’énormes ressources financières ont été et continuent d’être allouées à ces mouvements anti-droits et aux institutions qui les soutiennent, « avec un effet de levier qui s’accélère dans toutes les régions du monde et qui entraîne à la fois l’érosion des infrastructures de défense des droits de l’homme et la montée croissante de l’autoritarisme ». En outre, « les mouvements et campagnes connexes s’opposent à l’égalité et à l’équité entre les sexes, à la santé et aux droits sexuels et génésiques, aux droits humains des personnes LGBTI et à divers autres objectifs et valeurs des mouvements progressistes et féministes ». [1]
Changing Faces Changing Spaces VIII (Changer de visages Changer d’espaces) (CFCS VIII)
Le 15 -16 mai 2023, des représentants d’organisations de financement originaires de fondations privées et publiques, d’organisations non gouvernementales, de gouvernements donateurs, d’entreprises et d’agences multilatérales se sont réunis dans la paisible ville de Palapye, au Botswana, à l’occasion de la pré-conférence des donateurs de la CFCS VIII organisée par UHAI EASHRI. La conférence de la CFCS VIII était unique en son genre puisqu’il s’agissait de la première conférence de ce type après 2020, qu’elle ne s’est pas déroulée au Kenya comme c’était la norme et qu’elle comprenait des pré-conférences parallèles organisées par les mouvements trans, lesbiens, bisexuels, queers et non-conformes au genre (LBQ-GNC), gays, bisexuels, hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (GBMSM) et les travailleurs du sexe en Afrique.
Bien que l’on ait exploré le terrain actuel du financement des mouvements queer (merci aux idées du rapport 2019-2020 du GPP) et que l’on ait constaté que le financement et les ressources qui en découlent sont en hausse constante, il n’a pas échappé à la salle qu’il reste encore beaucoup à faire pour soutenir les mouvements africains queer et de travailleurs du sexe afin de garantir et d’assurer intentionnellement leur succès. Dans ce cas, le succès devrait se traduire non seulement par la prospérité des mouvements et des activistes au-delà de la dépendance des donateurs, mais aussi par le rôle supplémentaire que jouent les bailleurs de fonds pour garantir la sécurité et le bien-être des activistes qui animent ces mouvements.
Que peuvent donc faire les bailleurs de fonds pour s’assurer que les mouvements queer et de travailleurs du sexe africains disposent des ressources nécessaires à leur réussite et à leur pérennité, en particulier face à la tempête qui fait rage dans les mouvements anti-genre/anti-droits ? Plusieurs moyens ont été discutés pour y parvenir et il s’agit d’un appel à tous les bailleurs de fonds des espaces queer et des travailleurs du sexe en Afrique. Bien que les entités donatrices puissent avoir mis en place des systèmes et des processus qui ne reflètent pas nécessairement les propositions soulignées ci-dessous, c’est l’occasion pour les bailleurs de fonds d’envisager un changement pour adopter ces moyens intentionnels et pratiques de soutenir les mouvements queer et de travailleurs du sexe en Afrique :
Voici comment...
Centrer le bien-être sur le ressourcement des communautés : L’organisation et la construction de mouvements, en particulier dans le contexte politique actuel de la plupart des pays africains, s’accompagnent d’une charge physique, émotionnelle et psychologique considérable. Il n’est pas rare de voir et d’entendre des militants s’effondrer à cause de l’épuisement dû à l’organisation. Il n’est pas rare non plus de voir des militants se laver les mains et quitter l’activisme en raison du manque de soutien à leur santé mentale. Les bailleurs de fonds devraient avoir l’intention de financer le bien-être mental des militants, soit par le biais de subventions pour le bien-être mental, soit par une ligne budgétaire dans le cadre d’une subvention déjà existante. Il est également essentiel de mentionner que le bien-être mental des militants et des communautés n’est pas un scénario unique et que les coûts peuvent donc varier d’un contexte à l’autre. Les partenaires qui mettent en œuvre des programmes doivent faire preuve d’humanité et d’esprit pratique de la part des bailleurs de fonds, du début à la fin des projets. Pour ce faire, les bailleurs de fonds doivent prendre conscience que le militantisme est un travail très éprouvant sur le plan émotionnel et que, même dans le cadre des procédures établies, les partenaires chargés de la mise en œuvre doivent bénéficier d’une certaine grâce. Dans le même ordre d’idées, nous pourrions tous nous inspirer du Manifeste du bonheur de FRIDA.
Introduction et poursuite des subventions pluriannuelles : Imaginez la tranquillité que vous procure le fait de savoir qu’un projet communautaire sur lequel vous travaillez ne doit pas s’arrêter brusquement au bout de 12 mois parce qu’une subvention arrive à son terme. Imaginez que vous n’ayez pas à mobiliser des ressources 24 heures sur 24 pour vous assurer que le personnel qui entreprend le travail est pris en charge pendant au moins deux ans. Bien qu’il soit impossible d’arrêter complètement la mobilisation de ressources pour les mouvements en Afrique, le fait que les bailleurs de fonds soutiennent les mouvements sur le long terme plutôt que sur quelques mois de l’année est un véritable soulagement.
Construire une infrastructure de financement qui soit parallèle au contexte actuel et qui soit préparée pour l’avenir : L’adoption de la technologie dans l’octroi des subventions et dans l’ère « post-covid » signifie que les bailleurs de fonds doivent être conscients des circonstances dans lesquelles les différents mouvements travaillent et les soutenir dans ce domaine. Les processus d’établissement de rapports doivent s’adapter à l’évolution des circonstances et à la force des mouvements soutenus en incorporant d’autres moyens d’établissement de rapports, par exemple des rapports fondés sur des conversations, des rapports audiovisuels, etc. L’achat de biens immobiliers pour les organisations partenaires, lorsque le climat juridique et le contexte sécuritaire le permettent, s’est avéré réduire les frais généraux et même jeter les bases d’un revenu régulier pour les partenaires.
En faisant ce qui précède parmi d’autres moyens que nous continuons à apprendre, il devrait enfin aller sans dire que les bailleurs de fonds jouent un rôle critique en se plaçant entre les gouvernements, les autres bailleurs de fonds et les détenteurs de droits, et qu’en tant que tels, ils devraient utiliser leurs positions pour plaider davantage et rapprocher les ressources des détenteurs de droits. Nous devrions tous nous efforcer de créer et de conserver des opportunités d’apprentissage parmi les bailleurs de fonds et parmi les mouvements en Afrique, nous devrions tous nous efforcer de créer et de soutenir des réseaux stratégiques qui travaillent à l’amélioration de la vie et des expériences des personnes queer et des travailleurs du sexe sur le continent africain, nous devrions prendre position en dénonçant le mouvement anti-genre et en canalisant les ressources vers la cause!
[1] https://globalphilanthropyproject.org/wp-content/uploads/2021/02/Meet-the-Moment-2020-English.pdf