Une ombre plane sur Kilifi : Personnes âgées et accusations de sorcellerie
par Stan Kiraga, cofondateur de l’Association culturelle du district de Malindi (MADCA)
Le comté de Kilifi, au Kenya, est aux prises avec une tendance inquiétante : les meurtres brutaux de personnes âgées accusées de sorcellerie. Cet article se penche sur ce problème complexe et en explore les causes, les conséquences et les efforts en cours.
Ce rapport dérangeant n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan par rapport à la situation réelle. Selon des données peu concluantes recueillies en 2012, 390 aînés en moyenne sont tués chaque année. Les efforts récents de MADCA pour collecter des données ont été principalement infructueux parce que certains des cas ne sont pas documentés ou parce que les responsables gouvernementaux ne sont pas disposés à fournir les chiffres réels. Cependant, l’assassinat extrajudiciaire d’anciens dans le comté de Kilifi est de plus en plus crucial, contrairement à ce qu’affirment le gouvernement et la presse écrite.
Au-delà de la sorcellerie : Révéler le véritable motif
Si l’on suppose que les accusations de sorcellerie alimentent ces attaques, des facteurs sociaux et économiques sous-jacents, tels que la pauvreté et le chômage, les injustices foncières historiques, les litiges fonciers, la superstition (qui est omniprésente), les mauvaises infrastructures, la conduite imprudente, le changement climatique et la défunte loi sur la sorcellerie (Cap 67 du Kenya), promulguée en 1926 par le gouvernement colonial, sont souvent les principaux moteurs de ces agressions.
Les membres cupides d’une famille peuvent s’en prendre aux anciens qui gèrent les terres familiales, les éliminer et fabriquer des accusations de sorcellerie pour masquer leurs véritables motivations. Une personne peut contracter le VIH/SIDA ou mourir d’un accident de la route et un ou plusieurs anciens peuvent être assassinés, soi-disant parce qu’ils ont causé le décès grâce à des pouvoirs surnaturels. Un autre peut être accusé de contrôler les pluies, provoquant ainsi une longue sécheresse, et ainsi de suite.
Impact sur la communauté
Ces meurtres ne brisent pas seulement les familles, ils sèment également la peur et la méfiance au sein des communautés. Les anciens, traditionnellement vénérés pour leur sagesse et leurs conseils, sont désormais considérés avec suspicion. L’affaiblissement du tissu social compromet les fondements mêmes de la société de Kilifi.
La sorcellerie et la loi
La défunte loi kenyane sur la sorcellerie (Cap 67), bien qu’elle ne soit plus directement applicable, joue un rôle complexe et quelque peu paradoxal dans les meurtres de personnes âgées dans le comté de Kilifi.
Les accusations sont-elles fondées ? Alors que la loi vise à réglementer la sorcellerie et ses effets néfastes sur la société, la législation actuelle interdit diverses actions telles que la prétention, la revendication de connaissances en sorcellerie, la possession d’amulettes, les accusations, les tentatives d’enquête sur les crimes de sorcellerie, et bien d’autres. Cela peut donner l’impression que la sorcellerie n’est pas un phénomène réel. Cependant, le concept de sorcellerie et le mot existent dans toutes les langues du monde et sont reconnus comme un phénomène de croyance/foi. La peur associée à sa pratique entraîne encore de nombreux décès dans les sociétés africaines, souvent sous l’influence de lois coloniales conçues à l’origine pour protéger les intérêts du gouvernement colonial.Haut de page
Dépassée et déconnectée de la réalité : La loi, qui date de 1925, ne reflète pas les réalités de la société kenyane. Elle n’aborde pas les facteurs sociaux et économiques qui alimentent ces meurtres, tels que la pauvreté et l’accaparement des terres. Cette loi a été élaborée pour protéger le maître colonial de l’époque et non la population kenyane en général.
Impact global de la loi sur la sorcellerie
La défunte loi n’est pas directement à l’origine des meurtres. Cependant, sa présence historique et son champ d’application limité contribuent à créer un environnement où les accusations de sorcellerie (qu’elles soient vraies ou fausses) n’ont pas de poids et où, rétrospectivement, l’accusé devient directement le coupable (sans avoir la possibilité de prouver qu’il a tort ou qu’il a raison). La loi n’a pas la capacité d’enquêter sur les crimes de sorcellerie ou de les juger.
Efforts actuels :
La nécessité d’abroger la loi sur la sorcellerie est reconnue. La Commission kényane de réforme du droit plaide en faveur de sa révision afin de l’aligner sur la Constitution kényane de 2010, qui protège la liberté de croyance. Par ailleurs, les autorités kényanes prennent des mesures pour résoudre ce problème en renforçant la présence policière et en permettant une application plus stricte des lois visant à réduire les accusations de sorcellerie.
« Une approche plus nuancée est nécessaire. Si l’abrogation de la loi sur la sorcellerie constitue une avancée significative, elle n’est pas une solution complète. S’attaquer à la pauvreté, aux injustices foncières historiques et aux litiges fonciers, et promouvoir la compréhension culturelle, c’est-à-dire comprendre pourquoi certaines pratiques culturelles ont résisté au temps, sont des aspects cruciaux pour s’attaquer aux causes profondes de ces crimes »
– Stan Kiraga, cofondateur, MADCA
Les assassinats de personnes âgées dans le comté de Kilifi entachent considérablement le bilan du Kenya en matière de droits de l’homme. L’éradication de cette pratique nécessite une approche sur plusieurs fronts qui s’attaque à la fois aux problèmes de sécurité immédiats et aux facteurs sociaux et économiques sous-jacents. Ce n’est que par un effort de collaboration entre les forces de l’ordre, les dirigeants communautaires et les organisations de la société civile que Kilifi pourra garantir un environnement sûr et sécurisé à tous ses citoyens, en particulier aux plus vulnérables.