Perdre le contrôle: un voyage d’une organisation qui apprend à faire confiance
Ou, comment les ONGI s’engagent avec Voice ?
– Par Claire Thomas – Directrice adjointe de Minority Rights Group International
Nous voulons tous que les partenaires soient enfin indépendants, pour pouvoir fonctionner sans notre appui, mais le passage de témoin peut sembler risqué, il peut être reporté, les raisons peuvent être trouvées pourquoi ils ne sont pas encore prêts. Apprendre à céder le contrôle et à faire confiance à nos partenaires est beaucoup plus difficile qu’il ne devrait l’être.
Au cours des huit dernières années, avec mes collègues, j’ai fait un voyage personnel pour apprendre à faire confiance, ce qui m’a obligé à examiner mon envie d’être en charge ainsi que ma réticence à compter complètement sur les partenaires avec lesquels nous travaillons.
Donc, en un mot, il y a 9 ans :
Toutes les demandes de financement ont été soumises par MRG agissant en qualité d’organisation cheffe de file. Nous avions un droit de veto sur ce que les partenaires faisaient et nous devions rendre des comptes aux donateurs.
Maintenant de plus en plus :
Les demandes de financement sont soumises par des partenaires qui sont également soumissionnaires principaux. Les partenaires ont le dernier mot sur ce qui est fait avec l’argent et ils sont responsables vis-à-vis des donateurs.
Ce changement n’est pas radical en ce qui concerne la façon dont les choses se passent ou en termes de ce que nous faisons. Mais il est très important en termes d’égalité entre les organisations, par rapport au respect de nos valeurs et de renforcement des capacités des partenaires à fonctionner indépendamment sans l’appui des ONG internationales.
Le changement a été initié lorsque nous avons participé à une enquête anonyme de partenaires par rapport aux benchmarks, commanditée par BOND, une organisation britannique de réseautage. L’enquête a rassemblé des partenaires de façon anonyme qui ont partagé des commentaires qu’ils ne nous auraient jamais offerts directement. Bien qu’il y ait des domaines où nous avons pu établir de bonnes comparaisons avec d’autres organisations (par exemple, soutenir les plaidoyers des partenaires), il y avait aussi des domaines où la rétroaction nous a un peu surpris. Les partenaires n’ont pas toujours eu l’impression qu’ils étaient traités avec respect, ils ne se sentaient pas en mesure de formuler et articuler leurs plaintes, et ils n’ont pas eu l’impression que nous avions réussi à renforcer leur capacité (encore une fois, comparé aux résultats obtenus pour d’autres ONG basées au Royaume-Uni). Cela nous a amenés à réfléchir sérieusement sur nos façons de travailler et sur nos relations et cela a déclenché un processus de changement qui a conduit à des relations beaucoup plus saines, mutuellement respectueuses et productives avec nos partenaires.
Nous n’aurions pas dû être surpris lorsque des collègues travaillant sur Voice nous ont dit que leur approche ne convenait pas à toutes les organisations internationales en raison du fait que, sous Voice, ce sont les partenaires qui doivent introduire les demandes de subvention, qui doivent être les demandeurs principaux et qui doivent être responsables.
Voice va -t-il encourager d’autres organisations à gagner en confiance lorsqu’il s’agit d’activités d’apprentissage que nous avons menées ?
Je l’espère.
Voici comment cela a marché pour nous.
Bien que cela puisse varier, typiquement les membres du personnel travailleraient avec des organisations assez petites avec peu de personnel et en constante croissance sur le plan du développement des capacités. MRG ne se voit pas comme une organisation donatrice car, normalement, nos fonds généraux sont assez limités. Donc, si nous acceptons de travailler sur une thématique avec une organisation partenaire, nous concevons un programme conjoint de travail, puis ensemble, nous cherchons le financement pour la mise en œuvre des activités. Et une fois que le financement est disponible, nous passons à l’étape suivante avec le soutien de MRG en tant que chef de file sur ce que le partenaire souhaite faire (parfois pour des raisons de sécurité, parfois pour des raisons de compétence, parfois pour des raisons d’efficacité, par exemple le suivi des activités de plaidoyer et de collecte de fonds que nous faisons de façon globale pour ensuite partager avec tous les partenaires.) Cela change très souvent au cours de la vie d’un projet, par exemple si une opportunité soudaine se présente ou si un partenaire trouve un aspect d’un projet assez complexe à mettre en œuvre.
Il arrive parfois que les fonds soient versés à MRG (par exemple, d’un donateur important et exigeant comme l’UE) et qu’ils soient parfois versés directement à l’organisation partenaire. Il y a environ 7 ans, MRG a modifié son accord de partenariat pour déclarer que l’organisation qui recevrait la majorité du financement de nos interventions conjointes aurait le dernier mot en cas de désaccord irréconciliable. Fort heureusement ces genres de litiges sont assez rares, mais il importe d’avoir une clause sur cet aspect dans l’accord de partenariat est important. (L’accord dit également que le partenaire ne peut insister pour faire quelque chose qui enfreint au contrat avec un donateur.) Ce changement de mentalité pour une relation beaucoup plus égalitaire n’était pas facile pour tout le personnel et il exige un niveau beaucoup plus élevé de confiance mutuelle et une meilleure communication entre une organisation internationale et son partenaire. Et ce n’est pas seulement une partie de notre personnel qui a eu à s’adapter à cette nouvelle mentalité, nous pensons toujours que certaines organisations partenaires nous perçoivent comme donateurs plutôt que de véritables partenaires, et c’est un feedback qui nous parvient encore des évaluateurs indépendants.
Néanmoins, de façon globale, cette approche fonctionne bien et nous estimons également que c’est la seule approche qui correspond bien à nos valeurs, ce qui est maintenant clair pour tous, bien que nous ayons géré des programmes depuis deux décennies en travaillant avec des partenaires d’une manière qui ne colle pas du tout avec nos valeurs.
Cette approche explique pourquoi le financement Voice fonctionne si bien pour nous. Les projets sont conçus par des partenaires et élaborés conjointement par eux et nous. (Parfois, c’est notre équipe de collecte de fonds qui complète la demande de subvention, avec le partenaire qui approuve avant d’apposer la dernière signature, parfois nous rédigeons environ la moitié du projet, parfois les partenaires montent presque tout le projet et MGR apporte ses contributions sur des aspects particuliers et pertinents). Les demandes sont soumises par des partenaires et le financement est acheminé à travers Voice. Nous travaillons ensuite avec eux pour mettre en œuvre le projet. Les projets paient pour le personnel de MRG ayant travaillé sur la conception et le montage du projet, comme convenu avec le partenaire principal et qui a le dernier mot.
Nous pensons qu’il est important que nos partenaires soient responsables sur ces projets. Parfois, il en résulte une certaine frustration si nous pensons qu’une opportunité n’a pas été saisie ou exploitée ou qu’une alerte a été prise légèrement. Mais en fin de compte tous les partenaires doivent être en mesure de travailler indépendamment dans le cadre d’une durabilité future et nous croyons que l’apprentissage se fait en commettant des erreurs. (à condition, bien sûr, que les erreurs n’aient pas des conséquences catastrophiques-heureusement que nous n’avons pas eu à faire face à cela, ou à condition que les partenaires veuillent faire quelque chose que nous estimions être vraiment imprudent, dans ce cas une discussion franche et objective a lieu pour mieux clarifier nos positions avec eux). Les acquis, sur l’égalité des partenariats, la durabilité, le fait que le projet réponde vraiment aux besoins des personnes les plus proches des bénéficiaires l’emportent totalement sur les frustrations mineures que nous pouvons ressentir de temps en temps.
Parfois, quand on sait qu’un donateur va mal réagir au fait que MGR soit mentionnée (pas Voice!) les partenaires soumissionnent pour un projet sur lequel nous les avons appuyés surtout dans la conception sans aucune mention de MGR. Le projet comprend une rubrique consultation sur laquelle nous tombons d’accord et qui servira à payer les honoraires du personnel d’appui lorsque la demande de subvention est approuvée. Bien sûr, une fois que le financement est validé, les partenaires pourraient utiliser cette ligne budgétaire pour couvrir n’importe quel volet avec zéro garantie que ces fonds serviront a payer les honoraires des consultants tel qu’indiqué dans la demande de subvention. Toutefois la valeur ajoutée de l’utilisation de ces fonds est véritablement appréciée par les partenaires et cette méthode permet de mieux appuyer les bénéficiaires surtout lorsque les partenaires ont le potentiel et la capacité de recruter des ressources humaines locales disponibles et à moindres frais. Nous pensons que cette approche témoigne de la confiance mutuelle et la qualité de nos partenariats.
À côté de cela, nous valorisons les partenaires d’autres façons :
- Nous appuyons toujours les partenaires pour faire du plaidoyer au nom de leurs communautés plutôt que de parler à leur place.
- Les partenaires (anciens ou actuels) siègent à notre Conseil d’administration, et nos comités partenaires sont interrogés sur leurs priorités et leurs points de vue lorsque nous décidons de la stratégie pour l’organisation
- Nous impliquons les partenaires dans les évaluations, au moins, toutes les évaluatrices et tous les évaluateurs arrivent à leur parler longuement, mais souvent ils sont également impliqués dans la conception d’une évaluation.
- Étant donné que MRG est une organisation relativement petite, il est plus facile pour un partenaire de parler à beaucoup de personnes différentes au sein de l’organisme pour soulever une problématique ou une préoccupation de façon informelle avec quelqu’un d’autre que la personne de contact principale.
Les approches de MGR découlent vraiment de notre profond attachement aux droits humains universels, à l’égalité et à une approche fondée sur le droit. Une approche fondée sur les droits de l’Homme n’est peut-être toujours pas la solution la plus souple, la plus rapide, la plus sûre ou la plus facile, mais méfiez-vous des raccourcis car par souci d’efficience, de responsabilisation ou de rapidité, ces raccourcis peuvent compromettre notre objectif, final a savoir que chaque personne et chaque communauté doit se développer selon son plein potentiel d’une manière durable.
MRGI a bénéficié d’une subvention Voice Innovation et Apprentissage et est maintenant un co-soumissionnaire dans le cadre d’une Subvention d’Influence appelé Tous Ensemble pour la sauvegarde des droits fonciers en Afrique de l’est.